dimanche 7 février 2016

Logement intermédiaire, Usufruit Locatif Social, intermédiation locative: le grignotage du logement social

En 2015, la production HLM a comporté à peine un quart de logements très sociaux, soit un peu plus de 25 000 logements. Beaucoup ne sont d'ailleurs pas des logements pérennes, mais des hébergements longue durée en pension de famille, en résidence sociale, ou en CHRS. 

Evidemment, personne ne peut espérer éradiquer le mal-logement, qui touche 3 millions et demi de personnes, avec une offre aussi basse. Le budget contraint de l'Etat, des bailleurs et des collectivités territoriales empêcherait de faire plus , nous dit-on souvent. Notamment lorsqu'il s'agit de justifier une nouvelle baisse de crédits, comme la division par deux de la dotation de l'Etat pour de nouveaux logements sociaux à Paris. On nous dit aussi que les logements sociaux plus chers comme les PLS, ou le logement intermédiaire sont plus rentables pour les finances publiques. Depuis quelques années, on prétend même trouver une solution peu onéreuse pour en finir avec l'hébergement d'urgence au travers de l'intermédiation locative, ou "mobilisation du parc privé". 


Mais ces dispositifs, encouragés par des lois récentes ont un coût en argent public: et contrairement au logement social, l'argent investi ne représente pas forcément un investissement durable dans le secteur public. Bien souvent, c'est le secteur privé qui va profiter de primes, de subventions diverses et variées, de ristournes et d'exonérations fiscales. Dans le même temps, alors que les bailleurs sociaux ne remplissent pas leur vocation première, répondre à la demande de logement social, on assiste à une "diversification" de leur activité qui ressemble plutôt à une privatisation larvée: l'argent public sert à proposer une offre immobilière à peine moins chère que le privé.


Panorama non exhaustif du grignotage accéléré du logement social...


Le Très cher logement intermédiaire 


Trouver une définition précise et limitative du logement intermédiaire n'est pas chose aisée: dans la pratique, il s'agit surtout d'une expression à la mode , censée concerner " des logements moins chers que le privé, mais plus chers que le logement social". 


Il peut s'agir de logements totalement privés, comme ceux financés par l'ANAH, bénéficiant de subventions aux travaux de rénovation, et d'importantes exonérations fiscales en échange de la location à des prix inférieurs à 25% de ceux du marché pendant quelques années. 

En 2013, sur 65 000 logements à loyers maîtrisés conventionnés par l'ANAH, 40 000 étaient de l'intermédiaire, accessibles à des personnes gagnant jusqu'à 4000 euros mensuels. Soit une population qui n'a pas vraiment besoin d'aide pour se loger. Et surtout un don important aux propriétaires privés sans contrepartie durable: au bout de 7 ans, les logements ANAH ne sont plus soumis à un plafonnement du loyer


Mais le logement intermédiaire peut aussi être semi-privé, semi-public: c'est le cas de tous ceux qui vont être financés par le plan Hollande de 1,9 milliards d'euros au travers du FLI ( Fonds Logement Intermédiaire) , géré conjointement par le premier bailleur public de l'Etat, la SNI et par des investisseurs privés, compagnies d'assurances, banques , grandes structures immobilières. 
Les presque 2 milliards d'euros viendront pour la moitié directement du budget de l'Etat, et pour le reste de la Caisse des Dépôts et des fonds propres de la SNI. Un investissement public énorme, au regard par exemple, des 450 millions d'euros accordés par l'Etat pour construire du logement social en 2015.
Et tout cet argent public pour des logements aux loyers inférieurs de 20% à 30% à ceux du marché des zones tendues...Soit des loyers très chers et de toute façon inaccessibles à la majorité des classes populaires et moyennes, par exemple 80 euros le m2 pour une résidence dans le 19ème arrondissement. 
Les vrais gagnants, avec ces logements sont surtout les investisseurs privés : à 5% de rentabilité, l'affaire est bonne. 


Comme si le financement du secteur privé , déjà enrichi par des années d'augmentation des loyers ne suffisait pas, désormais les bailleurs sociaux qui ne répondent déjà pas à la demande de logement social, sont autorisés depuis la loi Macron , non seulement à construire ou à gérer du logement intermédiaire, mais également à acheter des immeubles existants pour les transformer en ce type de logements. On se dirige donc vers une privatisation larvée des bailleurs sociaux, avec un développement à double vitesse: d'un côté des filiales qui feront des bénéfices importants avec ces logements intermédiaires et sont donc amenées à se développer, de l'autre la partie logement social, délaissée par l'investissement public , devenues le parent pauvre de la société. Et chacun peut deviner quel choix fera la société mère lorsqu'elle aura l'opportunité d'un terrain en zone tendue , là où le foncier est cher et limité: évidemment, la construction des logements les plus rentables en terme de loyer sera privilégiée et d'autant plus dans les communes qui ne souhaitent pas construire de logement social et se moquent des maigres amendes SRU. L'étiquette "logement intermédiaire" permettra en sus aux élus de se présenter à tort en "logeurs des classes moyennes". 


L'Usufruit Locatif Social, ou le logement social à durée déterminée.



" Découvrez les charmes de l'Usufruit Locatif Social pour l'investissement", " L'ULS , un puissant outil de défiscalisation": ces quelques titres récents glanés dans la presse immobilière ne sont pas de ceux qu'on trouverait dans des articles sur le logement social.


Pourtant, les logements en ULS, sont  des logements comptabilisés comme sociaux, au titre de la loi SRU. Comment dans ces conditions peuvent-ils constituer un juteux placement immobilier ?


Tout simplement, parce qu'ils ne sont sociaux que sur le papier: ils appartiennent en réalité à un propriétaire privé, particulier ou Société Civile Immobilière qui cède l'usufruit au maximum pendant quinze ans à un bailleur social. Celui-ci les loue en PLS, le plus cher des loyers du logement social , inaccessible à 80% des demandeurs.
Pendant la durée de l'usufruit, le vrai propriétaire ne perçoit pas de loyers: mais ceci est largement compensé par un prix d'achat en général 40 à 50% inférieur à la valeur réelle du bien, ajouté à des exonérations fiscales très importantes, notamment sur l'impôt de solidarité sur la fortune ( ISF ) et sur l'impôt sur les plus values. De plus à l'issue de la période d'usufruit, le bailleur social a en charge non seulement la remise en état du bien, mais aussi le relogement des locataires ! 


L'argent public est donc dépensé directement et indirectement pour des logements privés : le dispositif fait un tabac notamment dans les communes déficitaires au titre de la loi SRU. Les élus qui ne veulent pas faire de logement social échappent ainsi à l'obligation légale et aux amendes avec des logements , qui à moyen terme reviendront au privé et aux prix du marché. 


L'intermédiation locative, une fausse alternative coûteuse à l'hébergement.


" Solibail", "Louez Solidaires", sont des formules mises en avant par l'Etat ou par la Ville de Paris, pour illustrer une soit-disant politique d'éradication de l'hébergement en hôtel et maintenant de relogement des prioritaires DALO. 


Il s'agirait de pallier rapidement au manque de logements sociaux , en attendant la concrétisation des promesses ( jamais tenues ) en matière de construction de HLM. 


Mais encore une fois, au lieu d'investir dans le logement public, on subventionne le logement privé: les propriétaires qui souscrivent à  ces dispositifs  obtiennent des primes à la location, des subventionnements de travaux, la gratuité de la gestion locative , et des déductions fiscales allant jusqu'à 70% des loyers perçus ! Souvent, les propriétaires qui souscrivent à ce type de dispositifs sont ceux dont le bien est d'une valeur moindre sur le marché privé: les logements en question sont fréquemment excentrés, mal isolés, avec des modes de chauffage coûteux, dans des copropriétés mal entretenues. Pas vraiment la situation idéale pour les sous- locataires qui paieront un loyer souvent plus cher que celui d'un logement social, sans savoir combien de temps ils pourront rester.  

En effet, le propriétaire en échange des avantages qui lui sont consentis, ne s'engage à louer que trois ans, et le sous-locataire n'a lui qu'un contrat de 18 mois avec une association: contrat qui n'ouvre pas les droits attachés à un bail normal en termes de renouvellement, d'actions sur l'état du logement, de protection contre l'expulsion. 

Dans les faits, l'intermédiation locative n'est pas une alternative à l'hébergement d'urgence: elle est une étape précaire supplémentaire dans le parcours de mal-logés qui ont pourtant le droit à un logement social. Personne n'est orienté directement de la rue ou après une expulsion sur ces logements: en réalité, ce sont principalement des familles restées à l'hôtel plusieurs années qu'on contraint à accepter ces baux précaires, en les menaçant d'une rupture d'hébergement. Plutôt que reloger définitivement, l'Etat et les collectivités territoriales, après avoir financé les propriétaires d'hôtels , financent donc des propriétaires privés. Une spirale sans fin, qui contribue à vider les caisses. 


En quelques années, les budgets territoriaux et nationaux du logement ont donc été siphonnés par ces nouveaux dispositifs qui alimentent principalement le secteur privé: c'est d'autant plus dramatique que le budget logement global de l'Etat baisse.  Il suffit de parcourir les sites de conseil en investissement immobilier ou ceux des cabinets de notaire pour réaliser l'ampleur et la banalisation de ce détournement de l'argent public: tous proposent des aides au montage de dossiers pour "optimiser " les investissements en se servant de ces dispositifs très rentables....qui au gré des nouvelles évolutions législatives ou municipales sont souvent cumulables.

Ainsi, il est désormais possible de bénéficier des avantages fiscaux de l'Usufruit Locatif Social pour des opérations de logement intermédiaire. De la même manière,à Paris, la mairie a mis en place Multiloc, un système d'intermédiation locative pour des loyers seulement 20% en dessous de ceux du marché, système où l'on récompense financièrement les agences immobilières qui proposent cette solution à leurs clients, comme si elles remplissaient une tâche d'intérêt général ! 

Le logement social devient donc  une option comme une autre laissée aux collectivités comme aux bailleurs sociaux qui bien, évidemment, vont de plus en plus choisir de faire autre chose de plus rentable, puisque justement, il y a le choix. 


Or l'éradication du mal-logement par une offre de loyers correspondant aux besoins ne se propose pas mais s'impose forcément, sans quoi, elle ne risque pas d'exister. L'argent public ne doit pas servir à subventionner le secteur privé, mais à créer une offre publique de logements à bon marché , qui seule, peut réguler les marchés privés.



Sinon, c'est la situation actuelle : une augmentation continue et injuste de la part du budget logement de la population et une part grandissante de personnes ne pouvant se loger nulle part. La prétendue crise du logement n'a pas d'autres causes.