En 2015,
la production HLM a comporté à peine un quart de logements très
sociaux, soit un peu plus de 25 000 logements. Beaucoup ne sont
d'ailleurs pas des logements pérennes, mais des hébergements longue
durée en pension de famille, en résidence sociale, ou en CHRS.
Evidemment, personne ne peut espérer éradiquer le mal-logement, qui touche 3 millions et demi de personnes, avec une offre aussi basse. Le budget contraint de l'Etat, des bailleurs et des collectivités territoriales empêcherait de faire plus , nous dit-on souvent. Notamment lorsqu'il s'agit de justifier une nouvelle baisse de crédits, comme la division par deux de la dotation de l'Etat pour de nouveaux logements sociaux à Paris. On nous dit aussi que les logements sociaux plus chers comme les PLS, ou le logement intermédiaire sont plus rentables pour les finances publiques. Depuis quelques années, on prétend même trouver une solution peu onéreuse pour en finir avec l'hébergement d'urgence au travers de l'intermédiation locative, ou "mobilisation du parc privé".
Mais ces
dispositifs, encouragés par des lois récentes ont un coût en
argent public: et contrairement au logement social, l'argent investi
ne représente pas forcément un investissement durable dans le
secteur public. Bien souvent, c'est le secteur privé qui va profiter
de primes, de subventions diverses et variées, de ristournes et
d'exonérations fiscales. Dans le même temps, alors que les
bailleurs sociaux ne remplissent pas leur vocation première,
répondre à la demande de logement social, on assiste à une
"diversification" de leur activité qui ressemble plutôt à
une privatisation larvée: l'argent public sert à proposer une offre
immobilière à peine moins chère que le privé.
Panorama
non exhaustif du grignotage accéléré du logement social...
Le
Très cher logement intermédiaire
Trouver
une définition précise et limitative du logement intermédiaire
n'est pas chose aisée: dans la pratique, il s'agit surtout d'une
expression à la mode , censée concerner " des logements moins
chers que le privé, mais plus chers que le logement social".
Il peut
s'agir de logements totalement privés, comme ceux financés par
l'ANAH, bénéficiant de subventions aux travaux de rénovation, et
d'importantes exonérations fiscales en échange de la location à
des prix inférieurs à 25% de ceux du marché pendant quelques
années.
En 2013,
sur 65 000 logements à loyers maîtrisés conventionnés par l'ANAH,
40 000 étaient de l'intermédiaire, accessibles à des personnes
gagnant jusqu'à 4000 euros mensuels. Soit une population qui n'a pas
vraiment besoin d'aide pour se loger. Et surtout un don important aux
propriétaires privés sans contrepartie durable: au bout de 7 ans,
les logements ANAH ne sont plus soumis à un plafonnement du loyer
Mais le
logement intermédiaire peut aussi être semi-privé, semi-public:
c'est le cas de tous ceux qui vont être financés par le plan
Hollande de 1,9 milliards d'euros au travers du FLI ( Fonds Logement
Intermédiaire) , géré conjointement par le
premier bailleur public de l'Etat, la SNI et par des
investisseurs privés, compagnies d'assurances, banques , grandes
structures immobilières.
Les
presque 2 milliards d'euros viendront pour la moitié directement du
budget de l'Etat, et pour le reste de la Caisse des Dépôts et des
fonds propres de la SNI. Un investissement public énorme, au regard
par exemple, des 450 millions d'euros accordés par l'Etat pour
construire du logement social en 2015.
Et tout
cet argent public pour des logements aux loyers inférieurs de 20% à 30% à ceux du
marché des zones tendues...Soit des loyers très chers et de toute
façon inaccessibles à la majorité des classes populaires et
moyennes, par exemple 80 euros le m2 pour une résidence dans le
19ème arrondissement.
Les
vrais gagnants, avec ces logements sont surtout les investisseurs
privés : à 5% de rentabilité, l'affaire est bonne.
Comme si
le financement du secteur privé , déjà enrichi par des années
d'augmentation des loyers ne suffisait pas, désormais les bailleurs
sociaux qui ne répondent déjà pas à la demande de logement
social, sont autorisés depuis la loi Macron , non seulement à construire ou à gérer du
logement intermédiaire, mais également à acheter des immeubles
existants pour les transformer en ce type de logements. On se dirige
donc vers une privatisation larvée des bailleurs sociaux, avec un
développement à double vitesse: d'un côté des filiales qui feront
des bénéfices importants avec ces logements intermédiaires et sont
donc amenées à se développer, de l'autre la partie logement
social, délaissée par l'investissement public , devenues le parent
pauvre de la société. Et chacun peut deviner quel choix fera la
société mère lorsqu'elle aura l'opportunité d'un terrain en zone
tendue , là où le foncier est cher et limité: évidemment, la
construction des logements les plus rentables en terme de loyer sera
privilégiée et d'autant plus dans les communes qui ne souhaitent
pas construire de logement social et se moquent des maigres amendes
SRU. L'étiquette "logement intermédiaire" permettra en
sus aux élus de se présenter à tort en "logeurs des classes
moyennes".
L'Usufruit Locatif Social, ou le logement social à durée déterminée.
"
Découvrez les charmes de l'Usufruit Locatif Social pour
l'investissement", " L'ULS , un puissant outil de
défiscalisation": ces quelques titres récents glanés dans la
presse immobilière ne sont pas de ceux qu'on trouverait dans des
articles sur le logement social.
Pourtant,
les
logements en ULS, sont des logements
comptabilisés comme sociaux, au titre de la loi SRU. Comment dans
ces conditions peuvent-ils constituer un juteux placement immobilier
?
Tout
simplement, parce qu'ils ne sont sociaux que sur le papier: ils
appartiennent en réalité à un propriétaire privé, particulier ou
Société Civile Immobilière qui cède l'usufruit au maximum pendant
quinze ans à un bailleur social. Celui-ci les loue en PLS, le plus
cher des loyers du logement social , inaccessible à 80% des
demandeurs.
Pendant
la durée de l'usufruit, le vrai propriétaire ne perçoit pas de
loyers: mais ceci est largement compensé par un prix d'achat en
général 40 à 50% inférieur à la valeur réelle du bien, ajouté
à des exonérations fiscales très importantes, notamment sur
l'impôt de solidarité sur la fortune ( ISF ) et sur l'impôt sur
les plus values. De plus à l'issue de la période d'usufruit, le
bailleur social a en charge non seulement la remise en état du bien,
mais aussi le relogement des locataires !
L'argent
public est donc dépensé directement et indirectement pour des
logements privés : le dispositif fait un tabac notamment dans les
communes déficitaires au titre de la loi SRU. Les élus qui ne
veulent pas faire de logement social échappent ainsi à l'obligation
légale et aux amendes avec des logements , qui à moyen terme
reviendront au privé et aux prix du marché.
L'intermédiation
locative, une fausse alternative coûteuse à l'hébergement.
"
Solibail", "Louez Solidaires", sont des formules mises
en avant par l'Etat ou par la Ville de Paris, pour illustrer une
soit-disant politique d'éradication de l'hébergement en hôtel et
maintenant de relogement des prioritaires DALO.
Il
s'agirait de pallier rapidement au manque de logements sociaux , en
attendant la concrétisation des promesses ( jamais tenues ) en
matière de construction de HLM.
Mais
encore une fois, au lieu d'investir dans le logement public, on
subventionne
le logement privé: les propriétaires qui souscrivent à
ces dispositifs obtiennent des primes à la location, des
subventionnements de travaux, la gratuité de la gestion locative ,
et des déductions fiscales allant jusqu'à 70% des loyers perçus !
Souvent, les propriétaires qui souscrivent à ce type de dispositifs
sont ceux dont le bien est d'une valeur moindre sur le marché privé:
les logements en question sont fréquemment excentrés, mal isolés,
avec des modes de chauffage coûteux, dans des copropriétés mal
entretenues. Pas vraiment la situation idéale pour les sous-
locataires qui paieront un loyer souvent plus cher que celui d'un
logement social, sans savoir combien de temps ils pourront rester.
En
effet, le propriétaire en échange des avantages qui lui sont
consentis, ne s'engage à louer que trois ans, et le sous-locataire
n'a lui qu'un contrat de 18 mois avec une association: contrat qui
n'ouvre pas les droits attachés à un bail normal en termes de
renouvellement, d'actions sur l'état du logement, de protection
contre l'expulsion.
Dans les
faits, l'intermédiation locative n'est pas une alternative à
l'hébergement d'urgence: elle est une étape précaire
supplémentaire dans le parcours de mal-logés qui ont pourtant le
droit à un logement social. Personne n'est orienté directement de
la rue ou après une expulsion sur ces logements: en réalité, ce
sont principalement des familles restées à l'hôtel plusieurs
années qu'on contraint à accepter ces baux précaires, en les
menaçant d'une rupture d'hébergement. Plutôt que reloger
définitivement, l'Etat et les collectivités territoriales, après
avoir financé les propriétaires d'hôtels , financent donc des
propriétaires privés. Une spirale sans fin, qui contribue à vider
les caisses.
En
quelques années, les budgets territoriaux et nationaux du logement
ont donc été siphonnés par ces nouveaux dispositifs qui alimentent
principalement le secteur privé: c'est d'autant plus dramatique que
le budget logement global de l'Etat baisse. Il suffit de
parcourir les sites de conseil en investissement immobilier ou ceux
des cabinets de notaire pour réaliser l'ampleur et la banalisation
de ce détournement de l'argent public: tous proposent des aides au
montage de dossiers pour "optimiser " les investissements
en se servant de ces dispositifs très rentables....qui au gré des
nouvelles évolutions législatives ou municipales sont souvent
cumulables.
Ainsi,
il est désormais possible de bénéficier des avantages fiscaux de
l'Usufruit Locatif Social pour des opérations de logement
intermédiaire. De la même manière,à Paris, la mairie a mis en
place Multiloc, un système d'intermédiation locative pour des
loyers seulement 20% en dessous de ceux du marché, système où l'on
récompense financièrement les agences immobilières qui proposent
cette solution à leurs clients, comme si elles remplissaient une
tâche d'intérêt général !
Le
logement social devient donc une option comme une autre laissée
aux collectivités comme aux bailleurs sociaux qui bien, évidemment,
vont de plus en plus choisir de faire autre chose de plus rentable,
puisque justement, il y a le choix.
Or
l'éradication du mal-logement par une offre de loyers correspondant
aux besoins ne se propose pas mais s'impose forcément, sans quoi,
elle ne risque pas d'exister. L'argent public ne doit pas servir à
subventionner le secteur privé, mais à créer une offre publique de
logements à bon marché , qui seule, peut réguler les marchés
privés.
Sinon,
c'est la situation actuelle : une augmentation continue et injuste de
la part du budget logement de la population et une part grandissante
de personnes ne pouvant se loger nulle part. La prétendue crise du
logement n'a pas d'autres causes.