jeudi 7 juin 2018

Les mal-logés s'invitent chez Vinci


« Les villes de demain ne seront ni des châteaux dans le ciel ni des cités sous-marines (quoique…), mais il nous revient cependant de les imaginer, avec autant de créativité que de pragmatisme, et surtout, avec enthousiasme. »
C’est une très jolie déclaration d’intention : celle du groupe immobilier VINCI , qui inaugure ce soir son laboratoire de la ville future , en présence de Jean Louis Missika, adjoint à l’Urbanisme d’Anne Hidalgo. C’est aussi le lancement du festival «  Building Beyond », qui va réunir élus, start up, géants de l’immobilier , représentants de l’état et des collectivités territoriales pendant plusieurs semaines. L’objectif affiché : construire et gérer la ville monde de demain, ultra-connectée, futuriste, innovatrice , écologique et ouverte à tous.

Mal-logés, locataires du logement social, ou experts contraints de l’errance urbaine faute de logement stable, nous sommes venus remettre un peu de réel dans l’utopie.

Parisiens modestes, habitants d’une des métropoles les plus riches du monde, nous ne demandons ni châteaux dans le ciel, ni cités sous-marines . Nous n’en sommes malheureusement pas là, mais à nous battre pour avoir un simple logement décent, modèle années 70, où les murs ne suintent pas d’humidité, sans accessibilité au plomb, sans trou dans le plafond, avec l’espace nécessaire pour que les enfants ne fassent pas leurs devoirs dans la salle de bain pendant que les parents cuisinent dans la chambre. Un logement dans un quartier bien desservi en transports et en services publics, un logement stable, un logement au loyer correspondant à nos revenus de précaires, de salariés et de retraités modestes.

C’est trop demander : le futur n’appartient pas à tout le monde. Etre mal-logé à Paris et Ile de France, c’est être relégué dans le passé. Un passé bien présent, au coeur de la « smart city » que les décideurs politiques et entrepreneuriaux font mine de ne pas voir.

240 000 foyers continuent à renouveler leur demande de logement chaque année. C’est deux fois plus qu’il y a dix ans : le marché privé est devenu inaccessible, le logement social en bon état devient aussi un bien rare. Les loyers des appartements HLM neufs sont aussi trop chers, et nombre de dossiers de mal-logés pourtant reconnus urgents sont rejetés par les bailleurs sociaux parisiens,pour « insuffisance de ressources ». Le parc ancien se dégrade. Les logements rachetés par des bailleurs sociaux et soit-disant « réhabilités » avec de l’argent public versé à de grandes entreprises sont souvent en très mauvais état.


La population francilienne en butte au mal-logement est confrontée à un mur de mépris et de non-réponse : l’antenne logement centrale de la Ville de Paris a fermé, celle du premier bailleur social parisien Paris Habitat aussi. Les élus reconnaissent eux-même que le système informatique qui recense les informations sur les demandeurs de logement et détermine la fameuse cotation censée mesurer le mal-logement dysfonctionne. Bienvenue dans la « smart city », où l’on peut diriger les transports en commun sans intervention humaine, gérer les flux de tout et n’importe quoi en s’aidant de simulations en réalité virtuelle, dès lors qu’il s’agit de proposer les meilleurs services possibles pour les JO 2024 ou pour les entreprises internationales qui veulent s’installer dans la capitale. Mais où personne n’est capable de faire un logiciel correct pour gérer des demandes de logement.

Lorsque nous manifestons au siège des bailleurs sociaux, dans les mairies, dans les endroits censés nous assurer le respect du droit au logement, les décideurs nous ignorent
Nous venons donc faire tache là où nos élus auront honte de nous : dans le laboratoire privé de la ville du Futur, celle dont on voudrait nous exclure.